mercredi 15 octobre 2025

Quatre fois quatre saisons

Et si les quatre saisons existaient à l'intérieur de chaque saison...

Le printemps de mon printemps, si doux, je me souviens des grains de poussière dorés dans l’entrebâillement des volets lorsqu'enfant je faisais la sieste. Je me souviens de mon désir ardent de les attraper et de les manger.

Je me souviens de cette sensation de vie intense et de profond épuisement quand j'avais usé toute mon énergie à faire je ne sais plus quoi. Je me souviens que la moindre chose avait une saveur, une odeur, une valeur toute particulière et très forte. 

Tout est tellement plus fort quand la vie est une succession de premières fois.

Je me souviens des jeux, des fourmis, du téléphone à cadran, des moustaches de mes grand-pères, de la sensation brûlante du sable, il fallait courir jusqu'à l'eau pour se soulager les pieds, je me souviens des gros chagrins et des histoires sans cesse répétées, je me souviens de l'été de mon printemps.  

Je me souviens de l'immense maison et du baiser tout aussi immense, je me souviens des corps plaqués l'un contre l'autre comme des soles. Des grains de poussière dorés dans l'entrebâillement des volets quand je suis sortie de cette étreinte pour reprendre ma respiration. Je me souviens avoir pédalé plus vite que mon ombre alors que je déteste le vélo, mettre mes pieds dans la rivière, vite vite... C'était l'automne.

Je me souviens des douleurs, au dos, sac trop lourd, mais putain qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir de si important à apprendre pour charger comme ça ce sac? Les lunettes, les points noirs et les poils... 

Pitié, si c'est ça, je veux mourir, je me sens dépossédée, je ne peux plus courir sans avoir un mal de chien, je ne peux plus courir, je ne peux plus sauter, je ne peux plus danser. Je me souviens des moqueries et de la méchanceté, et de ma langue qui claque comme un fouet, on appelle ça la répartie, même maintenant tu peux pas test. Je me souviens de ma première cigarette en douce un matin d'hiver...

Et puis c'est à nouveau le printemps, les mauvais jours sont derrière. L'éveil doux dans un corps presque apprivoisé, il faut bien préparer ses pauses maintenant, il faut savoir contrôler la machine. Je me souviens des grains de poussière dorés dans l'entrebâillement des volets après ma première nuit d'amour, je me souviens du fou-rire et du regret que ce ne fut pas le garçon du premier baiser. Je me souviens avoir adressé une prière aux grains de poussière dorés. Je me souviens du corps aimé, touché et de la peur sourde, comme tapie derrière une tenture, je me souviens d'une forme de honte, parfois c'est le corps qui maîtrise et pas le cœur, encore moins l'esprit. 

Tout est tellement plus fort quand la vie est une succession de secondes fois. 

Je me souviens des solitudes choisies et même ardemment désirées, des solitudes faites pour se réparer, pour carrément se construire, et être, loin de celle qu'on me dit d'être, loin de celle que je suis et plus proche de celle que je voudrais être, sous les grains de poussière dorés, comme une douche bienfaisante, qui attire à moi l'éclat brûlant de l'été.

 Il faudrait rentrer dans un miroir qui aurait reflété toutes ces saisons et ouvrir une énième porte, qui finalement s'ouvre d'elle-même, et bascule le monde vers un tourbillon, l'amour que je n'ai pas vu venir. 

Je me souviens que j'avais comme une sorte de torticolis du cœur, tourné vers le garçon du premier baiser, vers celui de l'amour sous l'orage, vers celui du kilomètre plus près du soleil. Arthrosique la fille. Je me souviens de l'intensité de l'amour et de l'éperdue soif d'être le cœur des pensées de quelqu'un, d'illuminer son âme à la manière de grains de poussière dorés brillant dans l’entrebâillement de volets un matin d'automne. 

Je me souviens du froid glacé qui transperçait ma peau alors que dehors il faisait 30° et qu'il ne m'aimait plus. Je me souviens du blizzard en plein mois de juin. Je me souviens de l'absence de sa main dans la mienne et du trou dans mon cœur et les grains de poussière dorés s'étaient subitement changés en cendres. Je me souviens avoir moi-même mis le feu au jardin et joui de la chaleur de ces flammes sur ma peau. Je me souviens d'une pierre qui serait comme tombée au fond d'un lac et de la brume en plein hiver.

 Tout est tellement plus fort quand la vie est une succession de fois définitives.

L'automne a un odeur de printemps tout neuf, le vent a soufflé sur la fumée et les cendres ont disparu. Je me souviens de mon corps douloureux, mais bien en vie, les courbatures de l'âge sont plus intéressantes que les langueurs de la jeunesse. Je cours à nouveau, je peux courir, je peux danser, je peux écrire, je peux aimer, le garçon du premier baiser est resté dans l'immense maison, les volets en sont désormais définitivement clos, celui de l'amour sous l'orage a-t-il péri foudroyé? Je me souviens du cœur ressoudé dans le noir d'une chambre pleine de larmes la nuit. Je me souviens de l'empreinte de sa main à l'intérieur de la mienne, et de sa main qui revient prendre sa place. Je me souviens de la danse des grains de poussière dorés au petit matin et de mon ardent désir d'en saupoudrer sa peau et de les manger.

Tout est tellement plus fort quand la vie se répète, saison après saison...


 

 

 

mardi 14 octobre 2025

There and back again, Dialogue In

Y' a quelqu'un?

...

'tends, j'arrive pas à voir. Tu pourrais pas nous mettre un peu de lumière?

Tiens, ça te va comme ça?

T'étais pas obligée de m'ouvrir en plein les rideaux dans la gueule aussi, en plus ils sont plein de poussière,  heureusement que j'ai pas d'asthme, ça va pas de laisser ma pièce puer le renfermé comme ça, t'étais où d'ailleurs?

J'étais partie retrouver ma vie, si ça te fait rien. J'étais partie retrouver le soleil, l'amour et le temps normal, j'en pouvais plus de ton putain de temps suspendu. Je m'étais tellement suspendue qu'on aurait pu croire que je m'étais pendue. Tu te rends compte que t'as failli me tuer? 

Oh ça va. T'avais bien aimé ça quand même, faire la petite pute littéraire, ose me dire que t'as pas kiffé une seule minute! 

Tu as raison, j'ai adoré ça.

Voilà!

Mais il y a un truc que je voudrais que tu saches.

Ferme le rideau

Ce que je voulais que tu saches, c'est que si le prix est trop élevé pour faire la pute, je ne veux pas le payer. Je ne veux pas me suspendre au temps jusqu'à ce qu'on pense que je me suis pendue.  Jusqu'à ce que je m’asphyxie moi-même, jusqu'à disparaître à mes propres yeux et devenir ce que je ne suis pas.

Tu me fais marrer. Mais déjà ma petite chérie tu parles en double. Alors pour...

... pour savoir ce que je ne suis pas, je suis passée par le fond de la poubelle de mon âme et je suis remontée, et je n'ai rien perdu de l'amour que j'avais meurtri. J'ai jamais eu autant de chance dans ma vie. Et il y a un autre truc aussi. Ici c'est chez moi, même si tu squattes. 

Donc, les rideaux...

Ils resteront ouverts. Et si la poussière te gène, je t'en prie, fais le ménage!

 


 

 

mercredi 15 septembre 2021

Far and well

 J'ai fermé la porte, faut pas m'en vouloir, j'ai foutu la clé je sais très bien où mais j'ai un peu envie d'oublier où, j'avais jamais vécu ça, l'impérieuse nécessité de partir sans un regard en arrière sans quoi ma vie serait partie en morceaux, même pas bout par bout, mais d'un bloc entier, tout par terre, et les bébés avec l'eau des larmes que j'aurais alors versées en guise de bain, alors j'ai claqué la porte et balancé la clé, et je l'ai rattrapé, pour ne plus jamais le lâcher, parce que c'est mon amour, mon amour choisi et consenti et que je suis le sien, et que je l'ai blessé plus que je n'aurais pu l'imaginer, vraiment parfois on fait des trucs dégueulasses à ceux qu'on aime, et le jour où ça tombe, ça tombe et il y a intérêt à prendre des décisions, des choix qui bousculent, j'ai choisi pour ma part, de le rattraper et de ne plus le lâcher, lui et nos bébés qui se noyaient dans le bain, sans que ça m'émeuve, on fait parfois des trucs dégueulasses à ceux qu'on aime, parce qu'on aura décidé de s'aimer plus fort qu'on ne les aime eux, mais ça, à part envoyer la vie dans le mur, je vois pas ce que ça procure de durable et de profond, parfois il vaut mieux fermer la porte et ne plus se rappeler où on a foutu la clé. 



mercredi 28 octobre 2020

A man inside

Il y a un homme dans mon âme.

Il m'arrive d'avoir un homme dans mon âme. 

Pas dans mes pensées. 

Dans mon âme.

Je suis une femme à qui il arrive d'avoir une âme masculine.

C'est un très bel homme. Un peu inquiétant. 

C'est une âme particulière. 

Elle le sont toutes.

J'ai rêvé que j'avais une âme masculine. 

J'ai rêvé qu'elle superposait ses actions aux miennes. 

Je me suis maquillée avec ses mains ce matin.

L'homme à l'intérieur de mon âme a des gestes plus sûrs que moi. 

Parfois.

J'ai rêvé que l'homme à l'intérieur de mon âme se décalait parfois dans ses gestes. 

Il m'arrive d'avoir des absences.

L'homme a l'intérieur de mon âme vit dans ces absences.

Sa vie propre. 

Il s'étourdit quand je ne bouge pas et que je flotte ailleurs.

Il s'emporte quand je ne réagis pas. 

Il casse tout. 

Et pleure.

C'est un très bel homme. Très touchant.

J'ai rêvé que l'homme a l'intérieur de mon âme se touchait comme une femme. 

Ses gestes superposés aux miens.

J'ai rêvé que l'homme à l'intérieur de mon âme se battait. 

Avec l'homme qui est à l'intérieur de mes pensées.

C'est un très bel homme. Très désarmant.

J'ai rêvé d'avoir fait l'amour à ces deux hommes avant qu'ils ne se battent.

Il m'arrive d'avoir des absences.

L'homme à l'intérieur de mon âme s'est battu jusqu'à être couvert de sang.

Mon âme parfois s'emporte.

Quand je ne réagis pas.

Elle casse tout.

Et pleure.

J'ai rêvé que l'homme à l’intérieur de mon âme  tombait à genoux devant moi.

Sa tête couverte de sang sur mon ventre et ses bras autour de ma taille.

L'homme à l’intérieur de mon âme ne parle pas.

C'est un très bel homme.C'est une très belle âme.



samedi 24 octobre 2020

Knockin' on Heaven's door

 Comment ça a commencé?

Ça a toujours été comme frapper à la porte du paradis. 

Tes yeux bleus, tes boucles rousses, ta voix incroyable, ma bouche peinte.

Nos voix fortes, nos rires aux larmes, nos mains qui s'étreignent dans nos histoires de cul, d'amour, de mères, de femmes, nos retrouvailles, notre pèlerinage, notre temps qui passe.

Nos abîmes, les nuits noires de nos âmes, et les cordes de soie qu'on se lance quand on sombre trop profond, ça a toujours été comme frapper à la porte du paradis.

Ça a commencé parce qu'on a toujours parlé fort, on a toujours rigolé à un point qu'on gênait les tables voisines, je parie qu'on était des sortes de curiosités, toutes si singulières, toutes si uniques, boucles rousses, yeux bleus, voix d'or liquide et bouche en cœur d'artichaut, on joue aux quatre mousquetaires et on échange les rôles en fonction de nos instants.

Nos dimensions tragiques et drôles à la fois, c'est comme frapper à la porte du paradis, la façon qu'on a de ridiculiser nos moments de solitude, l'amour qui brille dans les larmes de nos fous-rires, parce qu'on a des vies de femmes qui doutent, qui cherchent, qui butent, qui grandissent sans vieillir.

Nos amants, tour à tour ridicules et merveilleux, nos amoureux, tour à  tour infects et prodigieux, nos dehors, nos dedans, nos enfants, nos gouffres et nos sommets, et cette corde de soie, on la dirait tressée avec nos propres cheveux.

Le cœur d'une corde se nomme l'âme. 

Ça a commencé comme ça. Avec nos âmes, on a tissé une corde. 

Mes chéries, la vie avec vous tissées dans mon âme, c'est comme frapper à la porte du paradis.

 



jeudi 15 octobre 2020

Abaisser le vent

On va changer de registre pour une fois.

On va abaisser le vent.

On va se faire un petit coup d'hyper ventilation.

On va parler un peu de trucs sérieux.

On va en rajouter sur la bullshitisation* de la vie, on va expliquer qu'on est pas des gestionnaires, ni des cocheurs de cases, encore moins des porte-flingues.

On va tenter de raconter au monde ce que l'on y fait, ce pourquoi on le fait, contre quoi on le fait.

On est pas des "acteurs associatifs" ni des "partenaires éducatifs", ni des "facilitateurs de lien social". 

On lutte pour ne pas utiliser ce langage de merde, c'est pas toujours simple, on se bagarre contre l'appauvrissement de la langue, on grince pour ne pas se faire intégrer aux rangs de ceux qui ont tout compris à la vie, qui raflent la mise, parce qu'ils rentrent bien dans les cases.

On m'a dit "Mais Madame, avec un peu de torsion, vous pourriez répondre à tel ou tel appel à projet".

Mais oui.

On va abaisser le vent.

C'est quoi le principe?

Les miens, désormais, c'est de rester droite, de ne pas me soumettre à ces procédures qui incombent à tout bon gestionnaire, c'est de ne pas enfiler les projets comme j'enfilerais les perles, c'est de savoir pourquoi je fais ce métier, c'est de raconter, toujours tout le temps à quel point ce métier, comme tant d'autres, comme celui de mon copain berger par exemple, sont essentiels parce qu'ils servent le bien commun.

On est pas utiles. On est indispensables. On est vitaux pour tenter de nourrir la poésie, l'équilibre, le créatif et la part de rêves en chaque être qui passe nos portes. Pour la plupart, on est même pas payés pour ça, ou si mal.

Pour être payés, il faudrait faire les putes, dire "oui oui voilà un projet atypique, avec des partenaires incontournables, une merveilleuse illustration des collaborations transverses indispensables au développement du vivre-ensemble si cruellement absent de nos quartiers", il faudrait qu'on aime enculer les mouches.

On va arrêter de justifier notre utilité sociale.

On va réclamer la gratuité de nos activités pour tous et toutes, parce que personne ne devrait payer pour la poésie, l'équilibre, le créatif et la part de rêves. 

On va rigoler parce qu'on ne rentre pas dans les cases, rien d'étonnant vu que les cases qu'on nous impose sont des cases merdiques qui ne servent à rien, à quoi ça sert de peindre, à quoi ça sert d'apprendre les percussions à l'école**, à quoi ça sert de jardiner en ville, à quoi ça sert les feux de joie?

On va se débrouiller, comme toujours. On va contourner les cases, on va de moins en moins s'abêtir à les remplir, on comprend qu'elles ne servent qu'à justifier les salaires de ceux qui les fabriquent, faudrait quand même pas que le fric des gens, leurs impôts, servent à des trucs vraiment utiles, comme l’hôpital par exemple.

On a envie de dire, c'est pas parce que la division du travail est composée désormais par presque 50% de boulots à la con qu'on est obligés d'y souscrire.

On va pas s'excuser d'avoir des boulots qui ont du sens, parce qu'ils résonnent furieusement comme un écho dans les rues sales de nos banlieues, parce qu'ils rassemblent des personnes, des vraies personnes autour de nos voix, la voix des professeurs, des instituteurs, des infirmières, des musiciens, des saltimbanques, des jardiniers, des animateurs****et tutti quanti, ça résonne pas hyper fort par ici les chargés de missions, les développeurs de tout et n'importe quoi, les contrôleurs qualité.

On y entrave queue dalle aux formulaires, même si on s'y habitue, on est pas trop con quand même, mais ça continue à faire mal de répondre "aux attendus", et de voir que dans ce monde mieux vaut être adapté au système façon rouleau-compresseur et peu importe le temps et l'énergie dépensés en pure perte pour ces âneries, tout ce temps passé à remplir des dossiers qui ne sont pas lus, alors qu'on aurait pu, je ne sais pas moi, ah si, tiens, qu'on aurait pu passer du temps à laisser nos portes ouvertes.

Nos lieux, nos activités devraient être ouverts tout le temps, sans restriction, pour tous, même le soir, même les dimanches, ce devrait être des espaces de vie permanents, des refuges ou des phares, des endroits où se reposer, où trouver un peu de temps libre, de chaleur humaine.

On va abaisser le vent.

On va régénérer les souffles.

On va continuer à vivre à contre-courant, parce qu'à contre-cœur c'est pas possible.


 
 
* Lecture indispensable: Bullshit Jobs, David Graeber dont voici un extrait illustrant le principe de féodalité managériale:
" (...) dans une entreprise, vous ne pouvez pas vous contenter de réclamer un nouveau serviteur, lui inventer un titre ronflant (comme "Grand Sénéchal des pas de porte") et lui expliquer que son vrai boulot consiste à remplacer le jardinier quand il est bourré. Vous devez pondre une description à la mords-moi-le-nœud, mais très détaillée, de ce qu'un astiqueur de boutons de porte est censé faire, entraîner votre nouvelle recrue à se prétendre le meilleur astiqueur de boutons de porte du royaume, puis utiliser le descriptif de ses attributions pour produire les évaluations périodiques de performance grâce auxquelles vous pourrez cocher toutes les cases nécessaires. Et, pour peu que votre jardinier dessoûle et refuse de voir un petit voyou se mêler de son boulot, vous voilà avec un astiqueur de boutons de porte à plein temps sur les bras."
** Même à l'école maintenant, si on veut passer une année scolaire à faire découvrir les percussions à ses élèves, il faut remplir un projet à la con avec définition d'objectifs, évaluation dudit projet, bilan etc...
*** Et de tout autre emploi indispensable, c'est à dire à forte utilité sociale, c'est à dire selon Graeber, qui manquerait cruellement à l'ensemble de la société s'il venait à disparaitre.