Et si les quatre saisons existaient à l'intérieur de chaque saison...
Le printemps de mon printemps, si doux, je me souviens des grains de poussière dorés dans l’entrebâillement des volets lorsqu'enfant je faisais la sieste. Je me souviens de mon désir ardent de les attraper et de les manger.
Je me souviens de cette sensation de vie intense et de profond épuisement quand j'avais usé toute mon énergie à faire je ne sais plus quoi. Je me souviens que la moindre chose avait une saveur, une odeur, une valeur toute particulière et très forte.
Tout est tellement plus fort quand la vie est une succession de premières fois.
Je me souviens des jeux, des fourmis, du téléphone à cadran, des moustaches de mes grand-pères, de la sensation brûlante du sable, il fallait courir jusqu'à l'eau pour se soulager les pieds, je me souviens des gros chagrins et des histoires sans cesse répétées, je me souviens de l'été de mon printemps.
Je me souviens de l'immense maison et du baiser tout aussi immense, je me souviens des corps plaqués l'un contre l'autre comme des soles. Des grains de poussière dorés dans l'entrebâillement des volets quand je suis sortie de cette étreinte pour reprendre ma respiration. Je me souviens avoir pédalé plus vite que mon ombre alors que je déteste le vélo, mettre mes pieds dans la rivière, vite vite... C'était l'automne.
Je me souviens des douleurs, au dos, sac trop lourd, mais putain qu'est-ce qu'il pouvait bien y avoir de si important à apprendre pour charger comme ça ce sac? Les lunettes, les points noirs et les poils...
Pitié, si c'est ça, je veux mourir, je me sens dépossédée, je ne peux plus courir sans avoir un mal de chien, je ne peux plus courir, je ne peux plus sauter, je ne peux plus danser. Je me souviens des moqueries et de la méchanceté, et de ma langue qui claque comme un fouet, on appelle ça la répartie, même maintenant tu peux pas test. Je me souviens de ma première cigarette en douce un matin d'hiver...
Et puis c'est à nouveau le printemps, les mauvais jours sont derrière. L'éveil doux dans un corps presque apprivoisé, il faut bien préparer ses pauses maintenant, il faut savoir contrôler la machine. Je me souviens des grains de poussière dorés dans l'entrebâillement des volets après ma première nuit d'amour, je me souviens du fou-rire et du regret que ce ne fut pas le garçon du premier baiser. Je me souviens avoir adressé une prière aux grains de poussière dorés. Je me souviens du corps aimé, touché et de la peur sourde, comme tapie derrière une tenture, je me souviens d'une forme de honte, parfois c'est le corps qui maîtrise et pas le cœur, encore moins l'esprit.
Tout est tellement plus fort quand la vie est une succession de secondes fois.
Je me souviens des solitudes choisies et même ardemment désirées, des solitudes faites pour se réparer, pour carrément se construire, et être, loin de celle qu'on me dit d'être, loin de celle que je suis et plus proche de celle que je voudrais être, sous les grains de poussière dorés, comme une douche bienfaisante, qui attire à moi l'éclat brûlant de l'été.
Il faudrait rentrer dans un miroir qui aurait reflété toutes ces saisons et ouvrir une énième porte, qui finalement s'ouvre d'elle-même, et bascule le monde vers un tourbillon, l'amour que je n'ai pas vu venir.
Je me souviens que j'avais comme une sorte de torticolis du cœur, tourné vers le garçon du premier baiser, vers celui de l'amour sous l'orage, vers celui du kilomètre plus près du soleil. Arthrosique la fille. Je me souviens de l'intensité de l'amour et de l'éperdue soif d'être le cœur des pensées de quelqu'un, d'illuminer son âme à la manière de grains de poussière dorés brillant dans l’entrebâillement de volets un matin d'automne.
Je me souviens du froid glacé qui transperçait ma peau alors que dehors il faisait 30° et qu'il ne m'aimait plus. Je me souviens du blizzard en plein mois de juin. Je me souviens de l'absence de sa main dans la mienne et du trou dans mon cœur et les grains de poussière dorés s'étaient subitement changés en cendres. Je me souviens avoir moi-même mis le feu au jardin et joui de la chaleur de ces flammes sur ma peau. Je me souviens d'une pierre qui serait comme tombée au fond d'un lac et de la brume en plein hiver.
Tout est tellement plus fort quand la vie est une succession de fois définitives.
L'automne a un odeur de printemps tout neuf, le vent a soufflé sur la fumée et les cendres ont disparu. Je me souviens de mon corps douloureux, mais bien en vie, les courbatures de l'âge sont plus intéressantes que les langueurs de la jeunesse. Je cours à nouveau, je peux courir, je peux danser, je peux écrire, je peux aimer, le garçon du premier baiser est resté dans l'immense maison, les volets en sont désormais définitivement clos, celui de l'amour sous l'orage a-t-il péri foudroyé? Je me souviens du cœur ressoudé dans le noir d'une chambre pleine de larmes la nuit. Je me souviens de l'empreinte de sa main à l'intérieur de la mienne, et de sa main qui revient prendre sa place. Je me souviens de la danse des grains de poussière dorés au petit matin et de mon ardent désir d'en saupoudrer sa peau et de les manger.
Tout est tellement plus fort quand la vie se répète, saison après saison...
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