mercredi 28 octobre 2020

A man inside

Il y a un homme dans mon âme.

Il m'arrive d'avoir un homme dans mon âme. 

Pas dans mes pensées. 

Dans mon âme.

Je suis une femme à qui il arrive d'avoir une âme masculine.

C'est un très bel homme. Un peu inquiétant. 

C'est une âme particulière. 

Elle le sont toutes.

J'ai rêvé que j'avais une âme masculine. 

J'ai rêvé qu'elle superposait ses actions aux miennes. 

Je me suis maquillée avec ses mains ce matin.

L'homme à l'intérieur de mon âme a des gestes plus sûrs que moi. 

Parfois.

J'ai rêvé que l'homme à l'intérieur de mon âme se décalait parfois dans ses gestes. 

Il m'arrive d'avoir des absences.

L'homme a l'intérieur de mon âme vit dans ces absences.

Sa vie propre. 

Il s'étourdit quand je ne bouge pas et que je flotte ailleurs.

Il s'emporte quand je ne réagis pas. 

Il casse tout. 

Et pleure.

C'est un très bel homme. Très touchant.

J'ai rêvé que l'homme a l'intérieur de mon âme se touchait comme une femme. 

Ses gestes superposés aux miens.

J'ai rêvé que l'homme à l'intérieur de mon âme se battait. 

Avec l'homme qui est à l'intérieur de mes pensées.

C'est un très bel homme. Très désarmant.

J'ai rêvé d'avoir fait l'amour à ces deux hommes avant qu'ils ne se battent.

Il m'arrive d'avoir des absences.

L'homme à l'intérieur de mon âme s'est battu jusqu'à être couvert de sang.

Mon âme parfois s'emporte.

Quand je ne réagis pas.

Elle casse tout.

Et pleure.

J'ai rêvé que l'homme à l’intérieur de mon âme  tombait à genoux devant moi.

Sa tête couverte de sang sur mon ventre et ses bras autour de ma taille.

L'homme à l’intérieur de mon âme ne parle pas.

C'est un très bel homme.C'est une très belle âme.



samedi 24 octobre 2020

Knockin' on Heaven's door

 Comment ça a commencé?

Ça a toujours été comme frapper à la porte du paradis. 

Tes yeux bleus, tes boucles rousses, ta voix incroyable, ma bouche peinte.

Nos voix fortes, nos rires aux larmes, nos mains qui s'étreignent dans nos histoires de cul, d'amour, de mères, de femmes, nos retrouvailles, notre pèlerinage, notre temps qui passe.

Nos abîmes, les nuits noires de nos âmes, et les cordes de soie qu'on se lance quand on sombre trop profond, ça a toujours été comme frapper à la porte du paradis.

Ça a commencé parce qu'on a toujours parlé fort, on a toujours rigolé à un point qu'on gênait les tables voisines, je parie qu'on était des sortes de curiosités, toutes si singulières, toutes si uniques, boucles rousses, yeux bleus, voix d'or liquide et bouche en cœur d'artichaut, on joue aux quatre mousquetaires et on échange les rôles en fonction de nos instants.

Nos dimensions tragiques et drôles à la fois, c'est comme frapper à la porte du paradis, la façon qu'on a de ridiculiser nos moments de solitude, l'amour qui brille dans les larmes de nos fous-rires, parce qu'on a des vies de femmes qui doutent, qui cherchent, qui butent, qui grandissent sans vieillir.

Nos amants, tour à tour ridicules et merveilleux, nos amoureux, tour à  tour infects et prodigieux, nos dehors, nos dedans, nos enfants, nos gouffres et nos sommets, et cette corde de soie, on la dirait tressée avec nos propres cheveux.

Le cœur d'une corde se nomme l'âme. 

Ça a commencé comme ça. Avec nos âmes, on a tissé une corde. 

Mes chéries, la vie avec vous tissées dans mon âme, c'est comme frapper à la porte du paradis.

 



jeudi 15 octobre 2020

Abaisser le vent

On va changer de registre pour une fois.

On va abaisser le vent.

On va se faire un petit coup d'hyper ventilation.

On va parler un peu de trucs sérieux.

On va en rajouter sur la bullshitisation* de la vie, on va expliquer qu'on est pas des gestionnaires, ni des cocheurs de cases, encore moins des porte-flingues.

On va tenter de raconter au monde ce que l'on y fait, ce pourquoi on le fait, contre quoi on le fait.

On est pas des "acteurs associatifs" ni des "partenaires éducatifs", ni des "facilitateurs de lien social". 

On lutte pour ne pas utiliser ce langage de merde, c'est pas toujours simple, on se bagarre contre l'appauvrissement de la langue, on grince pour ne pas se faire intégrer aux rangs de ceux qui ont tout compris à la vie, qui raflent la mise, parce qu'ils rentrent bien dans les cases.

On m'a dit "Mais Madame, avec un peu de torsion, vous pourriez répondre à tel ou tel appel à projet".

Mais oui.

On va abaisser le vent.

C'est quoi le principe?

Les miens, désormais, c'est de rester droite, de ne pas me soumettre à ces procédures qui incombent à tout bon gestionnaire, c'est de ne pas enfiler les projets comme j'enfilerais les perles, c'est de savoir pourquoi je fais ce métier, c'est de raconter, toujours tout le temps à quel point ce métier, comme tant d'autres, comme celui de mon copain berger par exemple, sont essentiels parce qu'ils servent le bien commun.

On est pas utiles. On est indispensables. On est vitaux pour tenter de nourrir la poésie, l'équilibre, le créatif et la part de rêves en chaque être qui passe nos portes. Pour la plupart, on est même pas payés pour ça, ou si mal.

Pour être payés, il faudrait faire les putes, dire "oui oui voilà un projet atypique, avec des partenaires incontournables, une merveilleuse illustration des collaborations transverses indispensables au développement du vivre-ensemble si cruellement absent de nos quartiers", il faudrait qu'on aime enculer les mouches.

On va arrêter de justifier notre utilité sociale.

On va réclamer la gratuité de nos activités pour tous et toutes, parce que personne ne devrait payer pour la poésie, l'équilibre, le créatif et la part de rêves. 

On va rigoler parce qu'on ne rentre pas dans les cases, rien d'étonnant vu que les cases qu'on nous impose sont des cases merdiques qui ne servent à rien, à quoi ça sert de peindre, à quoi ça sert d'apprendre les percussions à l'école**, à quoi ça sert de jardiner en ville, à quoi ça sert les feux de joie?

On va se débrouiller, comme toujours. On va contourner les cases, on va de moins en moins s'abêtir à les remplir, on comprend qu'elles ne servent qu'à justifier les salaires de ceux qui les fabriquent, faudrait quand même pas que le fric des gens, leurs impôts, servent à des trucs vraiment utiles, comme l’hôpital par exemple.

On a envie de dire, c'est pas parce que la division du travail est composée désormais par presque 50% de boulots à la con qu'on est obligés d'y souscrire.

On va pas s'excuser d'avoir des boulots qui ont du sens, parce qu'ils résonnent furieusement comme un écho dans les rues sales de nos banlieues, parce qu'ils rassemblent des personnes, des vraies personnes autour de nos voix, la voix des professeurs, des instituteurs, des infirmières, des musiciens, des saltimbanques, des jardiniers, des animateurs****et tutti quanti, ça résonne pas hyper fort par ici les chargés de missions, les développeurs de tout et n'importe quoi, les contrôleurs qualité.

On y entrave queue dalle aux formulaires, même si on s'y habitue, on est pas trop con quand même, mais ça continue à faire mal de répondre "aux attendus", et de voir que dans ce monde mieux vaut être adapté au système façon rouleau-compresseur et peu importe le temps et l'énergie dépensés en pure perte pour ces âneries, tout ce temps passé à remplir des dossiers qui ne sont pas lus, alors qu'on aurait pu, je ne sais pas moi, ah si, tiens, qu'on aurait pu passer du temps à laisser nos portes ouvertes.

Nos lieux, nos activités devraient être ouverts tout le temps, sans restriction, pour tous, même le soir, même les dimanches, ce devrait être des espaces de vie permanents, des refuges ou des phares, des endroits où se reposer, où trouver un peu de temps libre, de chaleur humaine.

On va abaisser le vent.

On va régénérer les souffles.

On va continuer à vivre à contre-courant, parce qu'à contre-cœur c'est pas possible.


 
 
* Lecture indispensable: Bullshit Jobs, David Graeber dont voici un extrait illustrant le principe de féodalité managériale:
" (...) dans une entreprise, vous ne pouvez pas vous contenter de réclamer un nouveau serviteur, lui inventer un titre ronflant (comme "Grand Sénéchal des pas de porte") et lui expliquer que son vrai boulot consiste à remplacer le jardinier quand il est bourré. Vous devez pondre une description à la mords-moi-le-nœud, mais très détaillée, de ce qu'un astiqueur de boutons de porte est censé faire, entraîner votre nouvelle recrue à se prétendre le meilleur astiqueur de boutons de porte du royaume, puis utiliser le descriptif de ses attributions pour produire les évaluations périodiques de performance grâce auxquelles vous pourrez cocher toutes les cases nécessaires. Et, pour peu que votre jardinier dessoûle et refuse de voir un petit voyou se mêler de son boulot, vous voilà avec un astiqueur de boutons de porte à plein temps sur les bras."
** Même à l'école maintenant, si on veut passer une année scolaire à faire découvrir les percussions à ses élèves, il faut remplir un projet à la con avec définition d'objectifs, évaluation dudit projet, bilan etc...
*** Et de tout autre emploi indispensable, c'est à dire à forte utilité sociale, c'est à dire selon Graeber, qui manquerait cruellement à l'ensemble de la société s'il venait à disparaitre.